Tous ceux qui ont étudié la grammaire historique savent de science certaine que la notion de réfection analogique  est une tentative de réparation des erreurs commises par les copistes dans la transmission manuscrite d’une langue, d’où l’expression «l’erreur des copistes». Autrement dit, avant l’apparition de l’imprimerie et l’érection plus tard de maisons d’éditions, les textes se transmettaient de mains à mains par des copistes professionnels ou non qui ne manquaient pas de commettre des erreurs par-ci et par-là qu’ils transmettaient à la postérité. C’est donc dire que l’invention de l’imprimerie et la création progressive des techniques d’édition des livres est une révolution comparable à celle de Copernic dans le domaine de la Physique.

L’édition est donc un exercice noble et éreintant qui est au centre de la transmission du savoir. L’une des missions essentielles de l’homme sur terre étant la transmission du savoir à la postérité dans le but insigne de perpétuer la civilisation humaine jusqu’à la fin des choses. Il n’y a pas plus noble exercice sur terre que la transmission. Les éditeurs  sont peut-être des poètes manqués. Ce sont des messagers qui ont acquis à travers les âges de l’humanité les techniques d’embellissement, de promotion, de transmission et de commercialisation des sciences de l’homme. Alors on peut aisément comprendre que ce métier demande une certaine déontologie qui exige d’abord la vocation, ensuite la formation fondamentale suivie et renouvelée, les moyens matériels et financiers mais aussi et surtout une grande exigence.

 Il y a certainement des auteurs qui n’envisagent même pas en rêve d’envoyer leur manuscrit dans certaines maisons d’édition dont la rigueur, le métier et le sérieux fait trembler les auteurs les plus malhonnêtes. Un bon éditeur peut facilement démasquer un imposteur. Il n’y a que dans nos pays sous-développés que la dimension politique de l’édition nationale est négligée par les autorités. Elles ne sont même pas au courant des enjeux cruciaux liés à l’édition nationale. Il ne suffit pas d’intellectualiser l’importance du savoir et sa transmission. Les conseillers devront jouer leur rôle dans la collecte des données liées à la guerre culturelle, au savoir et à la langue. Ce travail constituera certainement la matière première, la preuve évidente pour les sceptiques que le savoir est la base du développement. 

Quant à la proposition de suppression du fonds d’aide à l’édition, elle est une réaction colérique contre l’état lamentable des lieux de l’édition au Sénégal : entre autres problèmes  beaucoup d’écrivains se transforment en éditeurs pour les raisons que l’on sait. Mais que faire ? Les écrivains ne vivent pas de leur plume. La suppression est une décision qui n’est pas sage ! Mais l’argument selon lequel, partout au monde l’Etat soutient l’édition privée est de la pure casuistique. La France ne laissera jamais tomber l’Harmattan-Sénégal, tout le monde le sait .Tout au plus il faudra suspendre le fonds en attendant de faire l’état des lieux avec un diagnostic rigoureux du problème du livre et de la lecture au Sénégal. Le Président Macky Sall est interpellé sur le sujet. Il n’a pas à attendre ses conseillers. Il faudra à la place d’un fonds d’aide à l’édition, élaborer une politique du livre et de la lecture au Sénégal, qui englobe un programme particulier consistant à financer la créativité littéraire, pour déboucher plus tard sur une véritable industrie du livre qui crée des emplois. Depuis la création du fonds d’aide à l’édition, les éditeurs qui en ont bénéficié ont-ils déniché le moindre écrivain digne de ce nom et présentable partout ? Quel est le seul chef-d’œuvre édité depuis lors ? Ils n’ont aucun flair éditorial, parce qu’ils sont des éditeurs par effraction. Un éditeur n’est pas un simple marchant de livre, un correcteur ou même un «ré-écrivain». Ce qui est scandaleux du reste. Un manuscrit ne doit pas être réécrit par l’éditeur. S’il doit être réécrit, c’est l’auteur lui-même qui doit le faire. 

Le jeudi trente octobre 2015, l’Association des éditeurs sénégalaise s’est réunie au King Fahd Palace, autour de la problématique du livre et l’édition nationale. Un événement de la plus haute importance. En fait de dissertation «philosophique» sur le livre comme bien commun ou marchandise obéissant aux lois du marché, il s’agissait concrètement d’un plaidoyer pour  une  Edition véritablement nationale. Comment un Etat peut-il laisser le marché de ses livres scolaires, destinés à ses enfants, aux mains du capital étranger ? C’est le cas du Sénégal. Alors qu’il y a dans ce pays deux à trois éditeurs très compétents, qui peuvent au moins soumissionner et gagner des marchés qui leur permettront de soutenir l’édition et la fabrication de la littérature nationale. Le plus scandaleux est que les critères des appels d’offre sont rédhibitoires pour la plupart de nos éditeurs, qui sont des hommes et des femmes respectables, des patriotes,  mais qui tirent le diable par la queue. Il faut des clauses d’assouplissement dans les appels d’offre. Nos éditeurs qui sont compétents et en formation permanente malgré les brebis galeuses, n’ont  que 15% du marché des manuels scolaires. Certains ont publié une centaine de titres. La Côte d’Ivoire de Gbagbo a exigé la moitié du marché. Il faut un soutien politique à la libération culturelle. Aucun parti politique sénégalais ne pose ce type de problématique. C’est à pleurer de chagrin. A quand serons- nous décolonisés ? Peut-être à la Saint-Glinglin.

sidimohamedkhalifa72@gmail.com