L’Association des éditeurs francophones au Sud du Sahara, Afrilivres, et l’Alliance internationale des éditeurs indépendants ont mis en commun leurs efforts pour organiser, du 20 au 23 janvier dernier, la 1ère édition du Salon de l’écrit et du livre en langues africaines (Saella). L’événement, qui s’est déroulé au Palais de la culture Amadou Hampathé Bâ de Bamako (Mali), était placé sous le thème « Ecrire et éditer en langues africaines : état des lieux et perspectives ».

« Il faut rester debout. Si on se couche, on meurt ». Ce court propos tenu à Bamako par le directeur général des éditions Papyrus Afrique, Seydou Nourou Ndiaye, dans le cadre du 1er Salon de l’écrit et livre en langues africaines (Saella) en dit long sur le besoin qu’ont les langues africaines d’ouvrir une nouvelle page. L’éditeur guinéen Mamadou Aliou Sow a entonné le même refrain : « Il ne faut pas baisser la garde. Tout est question de persévérance ». Sur la même ligne, le président de l’Organisation malienne des éditeurs du livre (Omel), Hamidou Konaté, a soutenu : « Les langues africaines doivent occuper toute leur place dans nos sociétés. Elles sont vectrices de culture. L’enfant apprend vite et mieux dans sa langue maternelle. »

L’éditrice ivoirienne, Mical Drehi Lorougnon, ne dit pas autre chose lorsqu’elle a lancé : « Il n’y a que nous-mêmes Africains qui pouvons-nous valoriser ». Sous ce rapport, a estimé H. Konaté, difficile de se développer dans la langue de l’autre. Toujours est-il que l’édition en langues nationales est à la peine. Les difficultés ont comme entre autres noms : étroitesse du marché, intrants, taxes. D’où la nécessité pour les éditeurs de miser sur « une meilleure qualité esthétique, des contenus de haute facture », souligne le président de l’Omel. Prenant la parole à la cérémonie d’ouverture du Saella, le ministre malien de la Culture, de l’Artisanat et Tourisme, a battu en brèche l’argument selon lequel « les langues africaines ne sont pas « commerciales » du fait du nombre très faible de ses locuteurs ».

Mme Ndiaye Ramatoulaye Diallo pense que c’est « commettre l’erreur d’enfermer nos langues dans des frontières définies ». Selon elle, le concept du Salon de l’écrit et livre en langues africaines est « un combat, dans le principe, mais surtout une projection de développement, dans l’action.

« Autant le Saella entend participer à une meilleure prise en compte de nos langues nationales dans la production littéraire et éducative, autant ce Salon milite pour une offre qualitative et quantitative du secteur du livre dans nos pays », a souligné le ministre malien de la Culture. Mme Ndiaye R. Diallo a salué l’esprit d’intégration qui anime ce Saella et qui a réuni à Bamako différents acteurs du monde du livre d’Afrique ainsi que des organisations de la coopération bilatérale et multilatérale, des réseaux nationaux et internationaux promoteurs de la culture et des langues africaines ainsi que des chercheurs. Pour elle, les défis de réflexions, qu’autorise ce Salon, sont au prorata des enjeux de la question de l’utilisation et de la promotion des productions écrites en langues nationales.

Dans son introduction thématique, le président du Comité scientifique du Saella, François Niada, a fait une mise en situation avec des constats de départ. « Les productions en langues nationales sont restées longtemps marginales avec une progression lente. En Afrique, beaucoup de personnes ne savent pas lire en langues nationales », a analysé F. Niadia. Il a suggéré le développement d’une offre éducative pour toucher le maximum de personnes. Le président du Comité scientifique n’a pas manqué de déplorer la ,faible qualité des productions (glossaires, monographies etc.) qui souffrent d’une absence de promotion.

F. Niada a relevé que dans quelques rares pays, très peu de langues africaines ont un statut officiel tel que l’amharique en Ethiopie, le kinyarwanda au Rwanda. Selon lui, c’est toute une politique à repenser. Pour l’éditeur, M. Aliou Sow, il s’agira d’ « outiller, équiper nos langues pour les faire vivre en mettant l’accent sur la formation des acteurs ». Dans ce contexte, le Saella se donne comme ambitions, entre autres : contribuer à améliorer l’éducation dans un environnement bi, plurilingue ; croître la visibilité et la qualité du livre en langues africaines...

RADIOSCOPIE : DES TRAJECTOIRES ET DES EXPÉRIENCES DIVERSES
Le 1er Salon de l’écrit et du livre en langues africaines a donné l’occasion à des éditeurs, universitaires venus de différents pays du continent de croiser leurs expériences. Etat des lieux.

Les participants à la 1ère édition du Salon de l’écrit et du livre en langues africaines (Saella) se sont entendus sur la nécessité de mutualiser les efforts pour mieux promouvoir l’édition en langues africaines. D’emblée, l’enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Ibrahima Wane, a jugé utile de « faire la différence entre la diversité et le nombre lorsqu’il faut évoquer le statut des langues ». Dans sa présentation, l’universitaire camerounais Dr Ndé Mu Fopin a fait un état des lieux dans son pays où règne un melting-pot linguistique avec environ 250 langues recensées. Il a souligné que son pays est au confluent de plusieurs zones géographiques, linguistiques, culturelles (Bamiléké, Malinké, Peul, Béti etc.). Au regard de l’universitaire, cette situation est complexe et difficile à gérer avec les langues occidentales comme le français, l’anglais. De quoi s’interroger sur la place de l’écrit, du livre en langues camerounaises, dans le système éducatif.

Dr Ndé a jugé qu’on assiste à un prolongement du système colonial avec un accent particulier sur le français, l’anglais avec une certaine prééminence de la langue de Molière qui est, à la fois, matière et langue d’apprentissage. Toutefois, l’enseignant camerounais a relevé que les langues nationales font l’objet de recherche dans les universités mais le gouvernement est réticent à les appliquer dans le système éducatif.  Dr Ndé ne désespère pas de voir progressivement une planification, une production et une distribution dans le système éducatif. Au Burkina Faso, la réalité est toute autre. Selon le témoignage du linguiste Issa Diallo, avec la Commission nationale, chaque langue a son alphabet, son orthographe. « On ne peut pas écrire n’importe quoi, n’importe comment », a-t-il dit.

Prenant la parole lors des échanges, l’éditrice malienne Kadiatou Konaré a insisté sur la problématique de la formation dans la chaîne éditoriale. Elle a déploré le manque de correcteurs même s’il y a des auteurs et éditeurs confirmés.

Après avoir partagé l’expérience éditoriale de la maison Papyrus Afrique qui se veut un espace où se retrouvent des militants de même sensibilité, le directeur Seydou Nourou Ndiaye a appelé au renforcement de la cohésion entre tous les éditeurs en langues africaines. S.N. Ndiaye a défini l’éditeur comme celui qui déniche le bon manuscrit et lui trouve un lecteur. 
L’absence de statistiques pour mesurer le volume de production littéraire en langues nationales a été également relevée lors des débats. Mais aussi la question du dépôt légal.

DES LANGUES NATIONALES POUR UNE ÉDUCATION DE QUALITÉ
Depuis quelques années, le bilinguisme est devenu une réalité dans le système éducatif sénégalais notamment à l’école primaire. Ce, grâce au concours de l’Ong Ared qui œuvre pour la recherche et l’éducation pour le développement.

L’option choisie, promouvoir une éducation de qualité avec les langues africaines. Sur ce point, la directrice de l’Edition et de la Formation d’Ared, Awa Kâ Dia, a défendu à Bamako « l’introduction des langues africaines dans le système éducatif comme un enjeu essentiel ». Depuis 2009, « on est dans 208 classes avec de nouvelles méthodes d’enseignement qui intègrent des langues comme le wolof, le pulaar, le français, dans les régions de Dakar, Kaolack, Saint-Louis », a informé Mme Dia. Ce projet expérimental touche plus de 10.000 élèves des quatre premières années d’apprentissage de l’enseignement élémentaire.

Ce modèle utilise la langue première de l’enfant à côté du français pour améliorer les compétences en lecture, en mathématiques et en éducation à la science et à la vie sociale. A l’actif de l’Ong Ared, plus de 300 titres dont plus de 90% en langues africaines.

Abdoulaye Ndione AfrilivresABDOULAYE FODE NDIONE D’AFRILIVRES : « LES LANGUES AFRICAINES, UN OUTIL CONTRE LES PRÉJUGÉS »
Le président de l’Association Afrilivres, Abdoulaye Fodé Ndione, est convaincu que la promotion des langues africaines constitue un outil efficace pour lutter contre les préjugés.

Le président de l’Association Afrilivres s’est exprimé dans le cadre de la 1ère édition du Saella. Abdoulaye Fodé Ndione a défendu la promotion des langues africaines pour lutter contre les préjugés. « Le développement d'une communauté est régulé à travers la langue. Cette langue, quelle que soit l'origine, lorsqu'elle est partagée, fait sauter les barrières », a-t-il estimé.

Selon lui, la concrétisation de ce Salon démontre combien « il est important de s’orienter davantage sur les valeurs que nous connaissons mieux et dont nous disposons au quotidien ». Ndione est d’avis que même si les éditeurs-membres d'Afrilivres publient aussi dans d'autres langues, les enjeux et l’urgence d’une implication dans la production éditoriale de langues africaines, s'imposent comme un préalable.

Dans ce contexte, a-t-il précisé, « il ne s’agit pas de combattre le français qui nous sert aussi de langue communautaire mais de hisser nos langues africaines à la même fréquence d’usage, sinon de le dépasser en locuteurs dans nos pays respectifs ».

Il a rappelé les missions d’Afrilivres : faciliter la création littéraire dans ce domaine, assurer la bonne circulation du livre, susciter l’installation de politique nationale du livre, renforcer les capacités des professionnels pour le développement de l’économie de la chaîne du livre.

Le collectif Afrilivres est réparti dans 13 pays en Afrique : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Congo, Gabon, Guinée, Madagascar, Mali, Ile Maurice, Rwanda, Togo et Sénégal.

UN FONDS MONDIAL POUR LE LIVRE EN GESTATION
Au cours des échanges qui ont rythmé le Saella, l’éditeur guinéen Mamadou Aliou Sow a annoncé le projet d’un Fonds mondial pour le livre. Le représentant de l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (Adéa) a expliqué la motivation principale qui a guidé cette initiative. « Tout est parti de la faible présence du livre au niveau de l’éducation de base », a souligné M.A. Sow. D’où l’option des initiateurs du projet -Usaid (Usa), Norad (coopération norvégienne), Dfid (Grande Bretagne), avec l’accompagnement de plusieurs autres partenaires- de mettre l’accent sur la production, la mise à disposition de livres pour une éducation de base de qualité dans les pays en développement. Mamadou Aliou Sow a assuré que les éligibles à ce fonds mondial seront sélectionnés sur la base de pré-requis. « Un intérêt particulier sera accordé aux manuels scolaires, aux matériels complémentaires en langues nationales.  S’y ajoutent beaucoup d’activités liées à la formation pour des contenus pédagogiques adaptés et attractifs pour les enfants », a-t-il insisté.

Laurence huguesLAURENCE HUGUES, ALLIANCE DES EDITEURS INDEPENDANTS : « LES TIC, UNE OPPORTUNITÉ POUR PROMOUVOIR LES LANGUES »
Laurence Hugues est la directrice de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, un réseau qui regroupe 400 éditeurs à travers 40 pays dans le monde.

Pour elle, le Saella est un vœu que l’Alliance porte auprès des éditeurs depuis longtemps. L. Hugues pense que la diversité linguistique est synonyme de biblio diversité avec une pluralité des pensées, des écrits qui circulent librement en Afrique et dans le monde. Une idée qui rejoint celle d’un universitaire qui a analysé la langue comme vecteur de culture, un enjeu de souveraineté surtout pour des pays de l’Afrique francophone. « On peut retrouver la même situation au Chili, en Australie etc. Ce, dans un environnement où une langue s’est imposée, a expliqué Laurence Hugues. Pour elle, il est primordial que les autres langues puissent exister. « C’est comme cela que les peuples se retrouvent, s’émancipent », a soutenu la directrice de l’Alliance des éditeurs indépendants.

Les langues africaines et les nouvelles technologies ont également fait l’objet d’échanges. Sur ce point, l’Alliance aide à mettre en place des ateliers professionnels de formation pour la création de fichiers numériques pour une meilleure circulation des textes. « L’idée est de parvenir à moins de lourdeur dans le transport des œuvres, les taxes à payer. Il faut y voir une opportunité pour promouvoir la lecture en langues africaines », a relevé L. Hugues.

De notre envoyé spécial à Bamako,
E. Massiga FAYE